LE SENTIER RÉVÉLÉ
Fatigués et hagards mais arborant des sourires triomphants, ils s’assirent autour du feu et se félicitèrent mutuellement. Saphira croassa de jubilation, ce qui effraya les chevaux. Eragon fixait les flammes. Il songeait avec fierté à la distance parcourue. Soixante lieues en cinq jours ! C’était un exploit, même pour un cavalier qui aurait changé de monture régulièrement !
« Je suis sorti de l’Empire. » C’était une étrange pensée… Il était né en Alagaësia ; il y avait vécu seize ans sous la férule de Galbatorix ; il y avait perdu ses plus proches amis et sa famille, tués par les sbires du roi ; il avait manqué lui-même d’y laisser la vie à plusieurs reprises. À présent, Eragon était libre. Lui et Saphira n’auraient plus à esquiver les soldats, à éviter les villes, à cacher qui ils étaient. Le constat était doux-amer, car pour gagner cette liberté, il avait dû renoncer à tout.
Il leva les yeux vers les étoiles qui scintillaient dans le ciel crépusculaire. Subitement, il éprouva l’envie de se bâtir une maison et de s’établir, là, dans la sécurité que semblait lui procurer l’isolement ; mais il avait vu trop de crimes commis au nom de Galbatorix – meurtres, esclavages –, pour tourner le dos à l’Empire. S’il devait venger la mort de Brom et l’assassinat de Garrow, ce n’était plus seulement un juste ressentiment qui l’animait. En tant que Dragonnier, il avait le devoir d’aider tous ceux qui n’avaient pas la force de lutter contre l’oppression du Parjure suprême.
Il abandonna ses réflexions en soupirant et tourna les yeux vers l’elfe, étendue près de Saphira. La lueur orangée du feu baignait son visage de couleurs chaudes. Des ombres légères dansaient sur ses joues. Tandis qu’il la contemplait une idée, doucement, lui vint.
Il avait le don de percevoir les pensées des humains et des animaux – et de communiquer ainsi avec eux si besoin –, mais il l’avait peu utilisé, excepté avec Saphira. Il n’oubliait pas la recommandation de Brom de ne pas violer l’intimité des consciences, sauf en cas d’absolue nécessité. À part le jour où il avait tenté de sonder l’esprit de Murtagh, il s’était interdit de le faire.
À présent, il se demandait si un contact avec l’elfe était possible malgré son sommeil comateux. « Je lirai peut-être dans sa mémoire les raisons qui la poussent à rester dans cet état, se dit-il. Mais, si elle se réveille, me pardonnera-t-elle cette intrusion ?… Qu’elle me le pardonne ou non, je dois essayer. Cela dure depuis près d’une semaine ! » Sans révéler ses intentions à Murtagh ni à Saphira, il s’agenouilla devant la jeune femme, et plaça sa paume sur son front. Il ferma les yeux et tenta de s’insinuer délicatement dans les pensées de sa protégée. Il y parvint sans difficulté.
L’esprit de l’elfe n’était pas brouillé par la douleur, comme il s’y attendait : il était lumineux et clair comme le son d’une clochette de cristal. Soudain, une dague de glace pénétra la conscience d’Eragon. Une douleur explosa derrière ses yeux en un kaléidoscope de couleurs. Il voulut battre en retraite, mais se sentit retenu par une force implacable.
Eragon lutta du mieux qu’il put, mettant en œuvre toutes les défenses dont il se souvenait. La dague s’enfonça un peu plus… Il dressa désespérément ses propres barrières pour repousser l’attaque. La douleur fut moins atroce, mais elle le déconcentra. L’elfe saisit cette opportunité pour broyer ses défenses sans pitié.
Une chape étouffante s’abattit sur l’esprit du Dragonnier. La force surpuissante l’asphyxiait, lentement, aspirant peu à peu sa vie ; mais Eragon s’y cramponnait, refusant de capituler.
L’elfe raffermit encore sa prise, cherchant à éteindre sa vie comme on mouche une bougie. Il cria désespérément en ancien langage : « Eka aí fricai un Shur’tugal ! », « Je suis un Dragonnier et un ami ». L’étreinte mortelle cessa de se resserrer. Eragon sentit la surprise de l’elfe, puis sa suspicion. Mais il savait qu’elle le croirait : on ne mentait pas en ancien langage. Cependant, même si le Dragonnier prétendait être un ami, l’elfe n’était pas obligée de le considérer comme tel. « L’ancien langage lui-même a ses limites », songea Eragon, espérant que l’elfe serait assez curieuse pour prendre le risque de le libérer.
Elle le fut.
Elle relâcha sa pression et, après une dernière hésitation, elle abaissa les barrières de son esprit. Avec méfiance, l’elfe laissa leurs pensées se toucher à la manière de deux bêtes sauvages se flairant pour la première fois.
Un frisson glacé courut le long de l’échine d’Eragon. L’esprit de l’elfe était différent, vaste, puissant, chargé de souvenirs qui remontaient à des temps immémoriaux. Des pensées sombres y planaient, inaccessibles, propres à son peuple, qui hérissèrent le garçon en effleurant sa conscience. Cependant, à travers toutes ces sensations, une mélodie farouche et entêtante se dégageait, qui révélait l’identité profonde de la femme.
« Comment t’appelles-tu ? » lui demanda-t-elle en ancien langage. Sa voix était lasse et pleine de résignation.
« Eragon. Et toi ? » La conscience de l’elfe se rapprocha de la sienne, l’invitant à se laisser submerger par la musique rythmée de son sang. Il résista à la tentation avec peine, refusant d’écouter son cœur. Il comprit alors le pouvoir de séduction des elfes. Ces créatures magiques n’étaient pas soumises aux mêmes lois que les mortels ; c’étaient des êtres aussi différents des humains que les dragons l’étaient des animaux.
« … Arya. Pourquoi m’as-tu contactée de cette façon ? Suis-je encore prisonnière de l’Empire ? »
« Non, tu es libre ! » répondit Eragon. Bien que sa connaissance de l’ancien langage ne fût pas parfaite, il parvint à lui expliquer : « J’ai été emprisonné comme toi dans la forteresse de Gil’ead ; j’ai réussi à m’échapper, et je t’ai délivrée, il y a six jours de cela. Depuis, nous avons traversé le désert du Hadarac, et nous campons à présent au pied des montagnes du Beor. Tu n’as pas bougé, et tu n’as pas dit un mot pendant tout ce temps. »
« Ah… J’étais donc à Gil’ead… » Elle fit une pause, puis reprit : « Je sais que mes blessures ont été guéries. Sur le moment, je n’ai pas compris pourquoi – sûrement pour me préparer à de nouvelles séances de torture. Maintenant, je comprends que c’était toi. » Elle ajouta doucement : « Malgré tes soins, je ne me suis pas levée, et tu es troublé. »
« Oui. »
« Durant ma captivité, on m’a donné un poison rare, le Skilna Bragh, en plus de la drogue qui entravait mes pouvoirs. Chaque matin, pour annihiler les effets du poison, on m’administrait l’antidote, de force si je le refusais. Sans cet antidote, je serais morte en quelques heures. Voilà pourquoi je reste plongée dans ce sommeil léthargique : s’il n’arrête pas l’action du Skilna Bragh, il la ralentit. J’envisageais de me réveiller pour mettre un terme à ma vie, échappant ainsi à Galbatorix, mais je me suis abstenue en espérant que tu serais un allié… » Sa voix faiblit.
« Combien de temps peux-tu tenir ? » demanda Eragon.
« Des semaines, mais j’ai peur de ne plus en avoir beaucoup devant moi. Ce sommeil ne préserve pas éternellement de la mort… Je sens que le poison se répand dans mes veines. À moins de recevoir l’antidote, je succomberai dans trois ou quatre jours. »
« Où peut-on trouver l’antidote ? »
« Il n’existe que dans deux endroits, en dehors de l’Empire : chez mon propre peuple et chez les Vardens. Cependant, les miens sont très loin d’ici, même en voyageant à dos de dragon. »
« Et les Vardens ? Nous t’aurions menée à eux directement, mais nous ignorons où ils sont. »
« Je te le dirai si tu me donnes ta parole de ne jamais révéler leur cachette à Galbatorix ou à quiconque le sert ; de plus, tu dois me jurer que, d’aucune manière, tu ne m’as trompée, et que tu ne comptes pas faire de mal aux elfes, aux nains, aux Vardens ou au peuple des dragons. »
Ce que demandait Arya aurait été assez simple s’ils n’avaient pas conversé en ancien langage. Eragon savait qu’elle exigeait un serment qui engageait plus que la vie elle-même, qui ne pourrait jamais être rompu. Il en avait pleinement conscience ; aussi jura-t-il avec solennité.
« Alors, nous sommes d’accord… »
Une succession d’images vertigineuses déferla alors dans l’esprit d’Eragon : il se vit chevaucher au milieu des Beors, vers l’est, longtemps. Il fit de son mieux pour graver la route dans sa mémoire, tandis que des visions de monts escarpés et de collines fusaient dans sa tête. Il se dirigeait maintenant vers le sud, suivant toujours la ligne des montagnes. Puis le décor changea radicalement : il entrait dans une vallée étroite et ventée. Elle débouchait sur une chute d’eau écumante qui se jetait dans un lac profond.
Les images s’interrompirent.
« C’est loin, reconnut Arya, mais ne te laisse pas décourager par la distance. Quand tu arriveras au lac Kóstha-mérna, au bout du fleuve appelé Dent-d’Ours, prends une pierre, frappe la falaise près de la chute et crie : « Aí varden abr du Shur’tugals gata vanta ! » Tu seras reçu. On te fera subir des épreuves, mais n’abandonne jamais, si périlleuses te semblent-elles. »
« Que doivent-ils te donner comme contrepoison ? » s’enquit-il.
« Demande-leur du… » La voix de l’elfe faiblit, puis reprit de la vigueur : « … du nectar de Túnivor. À présent, laisse-moi. J’ai déjà brûlé trop d’énergie. Ne reprends pas contact avec moi, à moins qu’il n’y ait aucun espoir d’atteindre les Vardens. Si tel est le cas, je te transmettrai des informations indispensables à leur survie. Adieu, Eragon le Dragonnier. Ma vie est entre tes mains. »
Arya rompit le contact. La pression qui pesait sur l’esprit du garçon disparut.
Il inspira profondément et s’obligea à rouvrir les paupières. Murtagh et Saphira étaient à son côté, la mine inquiète.
— Ça va ? demanda Murtagh. Tu es à genoux depuis presque une heure.
— Vraiment ? s’étonna le Dragonnier en clignant des yeux.
« Oui, et tu grimaçais comme une gargouille souffrante ! » commenta la dragonne.
Eragon se redressa avec peine ; ses genoux craquèrent.
— J’ai parlé avec Arya !
Murtagh fronça les sourcils, perplexe, il avait l’air de se demander si son compagnon n’était pas devenu fou.
— L’elfe… c’est son nom !
« Et qu’est-ce qu’elle a ? » s’impatienta Saphira.
Eragon raconta brièvement leur discussion.
— À quelle distance se trouvent les Vardens ? demanda Murtagh.
— J’ai du mal à l’évaluer, avoua le garçon. D’après ce qu’elle m’a montré, je pense que c’est encore plus loin que d’ici à Gil’ead.
— Et on est censés faire tout ce chemin en trois ou quatre jours ? s’emporta Murtagh. On a mis cinq longs jours pour venir de Gil’ead ! Qu’est-ce que tu veux ? Tuer les chevaux ? Ils sont déjà épuisés.
— Si nous ne faisons rien, elle mourra ! Si les chevaux n’en peuvent plus, Saphira m’emmènera avec Arya ; au moins, nous arriverons à temps chez les Vardens. Tu pourras nous rattraper en quelques jours…
Murtagh croisa les bras et grogna :
— Bien sûr ! Murtagh la bête de somme ! Murtagh le garçon d’écurie ! Je ne suis bon qu’à ça, j’aurais dû m’en souvenir. Et je te rappelle que tous les soldats de l’Empire me recherchent, puisque tu n’as pas été capable de te défendre tout seul, et qu’il m’a fallu risquer ma peau pour sauver la tienne. D’accord, je suppose que je n’ai qu’à suivre tes instructions, et rester en arrière pour mener les chevaux, comme un bon serviteur.
Eragon fut complètement dérouté par ce ton venimeux.
— Qu’est-ce qui te prend ? Je sais ce que je te dois, et je te suis reconnaissant. Tu n’as pas de raison d’être en colère contre moi ! Je ne t’ai pas demandé de m’accompagner, ni de me sauver à Gil’ead. Tu as agi de ton propre gré ! Je ne t’ai jamais forcé à faire quoi que ce soit !
— Oh, pas ouvertement, non. Mais que pouvais-je décider d’autre sinon de vous aider, quand les Ra’zacs vous tenaient, Brom et toi ? Et, plus tard, à Gil’ead, comment aurais-je pu partir la conscience tranquille ? Le problème, avec toi, ajouta-t-il en enfonçant son doigt dans la poitrine d’Eragon, c’est que tu es à ce point incapable de te défendre qu’on se sent obligé de te venir en aide.
Les paroles de Murtagh froissèrent la fierté d’Eragon, d’autant que, il devait le reconnaître, elles avaient un fond de vérité.
— Ne me touche pas, gronda-t-il.
Son compagnon eut un rire âpre :
— Sinon tu me cognes ? Tu raterais même un mur de briques !
Il voulut bousculer Eragon mais celui-ci l’attrapa par le bras et le frappa à l’estomac.
— Je t’ai dit : ne me touche pas !
Plié en deux, Murtagh jura. Puis, avec un cri de rage, il se jeta sur le Dragonnier. Ils roulèrent à terre dans un amas confus de bras et de jambes. Eragon lança son pied dans la hanche de son adversaire et manqua son coup. Sa jambe balaya le feu. Des étincelles et des brindilles enflammées voletèrent çà et là.
Ils se tordaient sur le sol, prenant tour à tour l’avantage. Eragon parvint à glisser ses pieds sous la poitrine de Murtagh et le propulsa au-dessus de sa tête. Murtagh retomba sur le dos avec un bruit sourd, le souffle coupé.
Il se releva tant bien que mal et fit face à Eragon, respirant avec difficulté. Alors qu’ils se ruaient de nouveau l’un sur l’autre, la queue de Saphira s’abattit entre eux. La dragonne poussa un rugissement retentissant. Eragon l’ignora, essaya de sauter par-dessus l’obstacle, mais un pied griffu le cueillit au vol et le plaqua à terre.
« Assez ! »
Eragon tenta vainement de dégager la patte musclée de Saphira et vit que Murtagh était immobilisé aussi. La dragonne rugit de nouveau et fit claquer ses mâchoires. Elle balança sa tête au-dessus d’Eragon et le fixa droit dans les yeux. « Vous n’avez rien de mieux à faire ? On dirait deux chiens affamés se disputant un morceau de viande ! Qu’aurait dit Brom en vous voyant ? »
Eragon sentit la rougeur lui monter aux joues et détourna les yeux. Il savait ce que Brom aurait dit.
Saphira les maintenait sur le sol, les laissant mariner, puis, d’un ton cinglant, elle dit au Dragonnier : « À présent, si tu ne veux pas passer la nuit sous mon pied, tu vas demander poliment à Murtagh ce qui le préoccupe. » Son cou sinua, et elle riva son œil impassible sur Murtagh. « Et préviens-le que je ne supporterai pas la moindre insulte entre vous. »
« Laisse-nous nous relever ! » gémit Eragon.
« Non. »
Le Dragonnier se tourna de mauvaise grâce vers Murtagh. Il sentait au coin de sa bouche le goût fade du sang. Son compagnon évita son regard en détournant la tête.
— Bon, elle va nous lâcher ? marmonna-t-il.
— Non, à moins que nous discutions… Elle veut que je te demande quel est ton vrai problème, dit Eragon, embarrassé.
Saphira poussa un grognement affirmatif, fixant toujours Murtagh. Il ne pouvait pas échapper à cet œil perçant, il finit par hausser les épaules et grommela quelque chose. Les serres de la dragonne se crispèrent sur sa poitrine. Sa queue fouetta l’air. Le jeune homme la foudroya des yeux, puis déclara à contrecœur :
— Je te l’ai déjà dit : je ne veux pas aller chez les Vardens.
Eragon fronça les sourcils. Ce n’était que ça ?
— Tu ne veux pas… ou tu ne peux pas ?
Murtagh essaya de se libérer de la patte de Saphira, puis il renonça en pestant :
— Je ne veux pas ! Ils attendent de moi des choses que je ne peux pas leur donner.
— Tu les as volés ?
— J’aimerais que ce soit aussi simple.
Le Dragonnier roula des yeux, exaspéré :
— Bon, qu’est-ce qu’il y a alors ! Tu as tué quelqu’un d’important ou séduit l’une de leurs femmes ?
— Non, je suis né, lâcha Murtagh, énigmatique.
Il repoussa la patte de Saphira. Cette fois, elle les délivra tous les deux. Ils se relevèrent sous son regard vigilant, et époussetèrent leurs vêtements.
— Tu n’as pas répondu clairement à ma question, insista Eragon en tamponnant ses lèvres écorchées.
— Et alors ? fit Murtagh en se dirigeant d’un pas lourd à la lisière du campement.
Après quelques instants, il soupira :
— Peu importe pourquoi je suis dans cette situation, mais je peux t’assurer que je ne serais pas le bienvenu chez les Vardens, même si je leur apportais la tête du roi. Oh, il se pourrait qu’ils m’accueillent assez gentiment et m’admettent dans leurs assemblées ; quant à me faire confiance ! Jamais. Et si j’arrivais chez eux dans des circonstances moins fortuites, comme celles-ci, par exemple, ils me jetteraient aux fers.
— Tu ne voudrais pas être plus clair ? Moi aussi, j’ai fait des choses dont je ne suis pas très fier… même s’il n’y a pas de quoi me mettre les chaînes aux pieds.
Murtagh secoua lentement la tête, les yeux brillants :
— Ce n’est pas ça. Je n’ai rien fait non plus qui mérite un tel traitement ; une mauvaise action aurait été plus facile à expier. Non… mon seul crime, c’est d’exister.
Il se tut, aspira un peu d’air :
— Vois-tu, mon père…
Un sifflement suraigu de Saphira l’interrompit : « Eragon ! »
Les jeunes gens suivirent son regard. Murtagh blêmit.
— Des démons, partout !
À environ une lieue de là, te long de la chaîne de montagnes, des centaines de silhouettes robustes marchaient en rang, se dirigeant vers l’est. La file s’étirait presque à l’infini. Leurs talons soulevaient des nuages de poussière. Leurs armes luisaient dans la lumière descendante. Un porte-étendard les précédait dans un chariot noir, dressant vers le ciel une bannière cramoisie.
— Les sbires de l’Empire…, dit Eragon d’un ton las. Ils nous ont retrouvés, finalement.
Saphira posa sa tête sur l’épaule du Dragonnier pour les observer.
— Oui… mais ceux-là sont des Urgals, pas des humains, signala Murtagh.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
Son compagnon désigna l’étendard :
— Cette bannière porte le symbole personnel d’un chef Urgal, une brute impitoyable, sujet à de violentes crises de démence.
— Tu l’as déjà rencontré ?
— Une fois, brièvement, acquiesça Murtagh en plissant les yeux, et j’en ai gardé des cicatrices. Ces Urgals ne sont peut-être pas là pour nous, mais je suis certain qu’ils nous ont d’ores et déjà repérés, et qu’ils nous suivront. Leur chef n’est pas du genre à laisser un dragon lui échapper, surtout s’il en a entendu parler à Gil’ead.
Eragon courut jusqu’au feu et l’étouffa sous ses cendres.
— Il faut filer ! s’exclama-t-il. Tu ne veux pas aller chez les Vardens, mais je dois leur amener Arya avant qu’elle ne meure. Je te propose un compromis. Viens avec moi jusqu’au lac Kóstha-mérna. Là, tu iras de ton côté.
Murtagh hésita. Eragon se dépêcha d’ajouter :
— Si tu pars maintenant, les Urgals te verront et te pourchasseront. Et que feras-tu, seul, face à eux ?
— Très bien, dit Murtagh en lançant les bâts sur Tornac Mais, quand nous approcherons des Vardens, je m’en irai.
Eragon brûlait de le questionner davantage ; mais avec les Urgals dans les parages, il y avait plus urgent. Il rassembla ses affaires et sella Feu-de-Neige. Saphira déploya ses ailes, décolla et vola en cercles concentriques. Elle veilla sur jeunes gens tandis qu’ils levaient le camp.
« Quelle direction dois-je prendre ? » demanda-t-elle.
« L’est, le long des Beors. »
Saphira s’éleva en profitant d’une colonne d’air ascendante et plana dans le ciel, au-dessus des chevaux. « Je me demande pourquoi les Urgals sont ici, confia-t-elle à Eragon. On les a peut-être envoyés attaquer les Vardens ! »
« Dans ce cas, nous devrions essayer de les avertir ! » répondit le Dragonnier en guidant Feu-de-Neige de façon à éviter des obstacles à peine visibles dans le crépuscule.
Quand la nuit s’épaissit, les Urgals se fondirent dans les ténèbres, derrière eux.